Par Lucia Aboutaoufik, Carol Clara et Alessandra Kegeleirs (21 Solutions)
Inclure le plus grand nombre à des processus collaboratifs reste un enjeu. Au sein de VILCO un nombre restreint d’initiatives citoyennes a été impliqué dans la recherche-action. De ces initiatives, seuls quelques membres se sont impliqués de manière proactive et directe. Sans impertinence aucune, on peut se demander : pourquoi favoriser la collaboration des pouvoirs publics avec ces quelques citoyens volontaires ? Sont-ils représentatifs de l’ensemble des citoyens concernés ? Faut-il qu’ils soient représentatifs ? Quelle légitimité ont-ils dans la prise de décision ? Et les autres, les citoyens qui ne participent pas, comment les inclure ?
Nous le savons très bien, dans les processus participatifs, certains publics participent moins facilement. Par manque de temps, d’intérêt, d’information ou parce qu’ils ne se sentent pas légitimes ou suffisamment confiants pour donner leur avis. Les pouvoirs publics de leur côté sont souvent effrayés par le temps qu’il faut investir dans ces démarches et par la charge de travail que cela implique. À ceci, s’ajoute la crainte que ces espaces de dialogue, de consultation, de cocréation ou de codécision ne soient pas toujours représentatifs de la population du territoire concerné. L’enjeu de l’inclusion nous semble donc avoir une place importante dans la réflexion.
Sortir du « qui se ressemble, s’assemble ! »
Selon le regard socio-anthropologique d’Amélie Pierre, chercheuse à l’université de Namur, les initiatives citoyennes impliquées dans la recherche-action VILCO ont des traits relativement communs. À savoir : une appartenance de classe (moyennes ou dominantes, à gauche) ; une certaine préoccupation pour la transition ; une conception du citoyen tendanciellement républicaine (la participation des individus à la gouvernance -réflexion, décision et mise en œuvre- est profitable à la gestion du bien commun ; valorisation de la démocratie participative).
Les acteurs de Living labs (qu’ils soient élus, agents ou citoyens) partagent toujours, selon Amélie Pierre, une image positive de la collaboration et la nécessité d’engager de nouvelles formes d’action pour être à la hauteur des enjeux de transition.
Bien que chacun se sente mû par l’intérêt général, le manque de diversité au sein des acteurs en présence ne peut être garant de représenter effectivement cet intérêt général, vu comme la somme des intérêts particuliers, car tous les intérêts particuliers ne sont pas représentés et ne peuvent donc pas s’exprimer (les PMR, les allochtones, les SDF, les migrants, etc.).
Si cette question n’a pas pu être traitée en profondeur ni même résolue dans VILCO, vu que le choix des acteurs n’a pas été ouvert ou re-questionné en cours de projet, l’inclusion est d’une importance cruciale, notamment lorsqu’il s’agit de légitimer certains processus tels que les budgets participatifs, les assemblées de quartiers ou autres espaces de concertation portés par les pouvoirs publics, ou les espaces plus informels. Nous pensons donc qu’il est indispensable, avant de mettre en place un espace de collaboration, de se poser ces questions et d’identifier des pistes pour élargir la représentativité citoyenne et favoriser une plus large inclusion des citoyens à ces processus.
Pour ce faire, sans avoir de recette miracle, nos expériences d’acteurs de terrain, croisées avec les récits d’autres acteurs de terrain, nous montrent qu’il existe différentes pistes de solutions :
- Associer le plus possible des acteurs de terrain (associations locales), comme relais, le plus en amont possible du processus ;
- Prendre le temps de créer un climat de confiance avec les personnes que l’on souhaite impliquer, être sur le terrain et aller à leur rencontre ;
- Déployer des outils de communication pédagogiques, ludiques et originaux adaptés aux publics cibles, voire avec les publics cibles ;
- Mettre en place des mécanismes et des dispositifs facilitant la représentativité (tirage au sort) ;
- Reconnaitre la valeur de l’implication et des apports de chacun et en être reconnaissant (par un cadre confortable et un accueil de qualité) .
Les jetons de présence et le défraiement des participants
Participer, ça prend du temps ! Les citoyens qui s’impliquent dans des démarches collaboratives donnent beaucoup de leur temps. Se déplacer, payer un garde-enfants, etc. Cela peut s’avérer nécessaire mais aussi coûteux pour participer à une réunion, un atelier ou un évènement de ce type.
Au sein de VILCO, en démarrage de projet, un budget global a été prévu pour le défraiement des participants. Celui-ci a été réparti selon le principe de jetons de présence. Ce budget a pour nous un double objectif : le premier est de limiter les freins à la participation et de permettre une égale participation des tou.te.s à nos activités et évènements, notamment en prenant en charge les éventuels frais (baby sitter, ticket de métro,…). Le deuxième est, de manière symbolique, de récompenser le temps et l’expertise mis à disposition du projet et de la collectivité. Les montants ont été fixés conformément au règlement sur les activités de volontariat à 34,03€ TTC par jour et par personne pour autant qu’il ne dépasse un certain plafond – 1.361,23€/an.
Cette méthode a été fort appréciée. Dans la pratique, une partie des citoyens n’en voulaient pas et préféraient soit reverser l’argent à leur initiative, soit recevoir des dons en nature (un repas, des formations, etc). Ces défraiements sont malgré tout une piste à retenir pour élargir la participation à d’autres publics, si les citoyens sont sollicités à de multiples reprises. Il s’agit de reconnaître l’investissement en temps et en énergie des personnes.
Valoriser l’engament citoyen : témoignage du projet Citizendev
Le projet Citizendev a pour but de favoriser la résilience communautaire en s’appuyant sur les ressources et les compétences des habitants des quartiers populaires. L’expérimentation se déroule au sein de trois living labs où les habitants vivent dans un contexte de précarité économique et/ou subissent des discriminations raciales. Les citoyens engagés dans le projet CitizenDev sont nombreux à éprouver des difficultés à s’insérer de manière durable sur le marché de l’emploi.
Les porteurs du projet se sont rendu compte qu’il était très délicat de faire émerger des initiatives si cela imposait aux citoyens de s’engager gratuitement dans des actions au même titre que des professionnels qui, eux, étaient rémunérés.
Par ailleurs, notre société prône une vision de l’engagement citoyen qui se doit d’être désintéressé : ni financier (être payé) ni reconnaissance (être félicité). Les deux types de motivations (intérêts individuels et altruistes) sont considérés comme incompatibles. Or, [ …] les habitants ne s’engagent pas uniquement pour développer leur quartier ou communauté, mais aussi pour se faire une expérience valorisable sur leur CV, dynamiser leur réseau social, valoriser leurs compétences artistiques, trouver un emploi… Cette conjonction de motivations permet sans doute de maintenir l’engagement dans le temps et même de le renforcer.
Il est nécessaire de valoriser le travail accompli, de reconnaitre la plus-value apportée par ces citoyens dans leur quartier. Cette reconnaissance peut prendre plusieurs formes dont notamment une rémunération. Ne pas reconnaitre l’importance d’une rétribution monétaire conduirait à envisager l’engagement citoyen uniquement à la portée d’une classe moyenne ou favorisée qui pourrait se permettre d’investir temps et énergie sans rien attendre en retour.
Il est néanmoins important de souligner que si le défraiement est une forme de valorisation et peut faciliter la participation de certains, il n’en est pas l’unique moteur : « Il faut que les gens aient un rêve pour être investis dans des projets pareil, il faut que les gens y croient. Ce n’est pas l’argent qui les ramènera, ce sont les rêves ! ». (Living lab du quartier Brabant)
Assemblées Citoyennes : des citoyens volontaires, mais aussi des citoyens tirés au sort
Par Alessandra Kegeleirs
Pour favoriser l’inclusion du plus grand nombre, lors du maquettage des Assemblées Citoyennes au sein de la dynamique locale d’Etterbeek, nous avons recouru à une composition mixte qui inclut tant des citoyens volontaires (afin de valoriser les apports de ceux qui veulent participer), qu’un échantillon de citoyens tirés au sort (afin de favoriser une meilleure représentativité des habitants de la commune ou du quartier en question).
Au-delà du dispositif, il est primordial d’impliquer les citoyens en amont, déjà au stade de la réflexion, pour s’assurer qu’il y ait un désir de participer et un objectif commun, mais aussi afin d’identifier les freins à ce type d’engagement, pour les dépasser !
Prendre le temps de co-construire avec les publics, mais aussi prendre le temps d’aller à la rencontre de ceux qui ne participent pas enrichira le processus.
Le vote pour tou.te.s !
Par Carol Clara et Lucia Aboutaoufik, après un voyage d’étude à Paris
Un des enjeux, quand on parle de Budget Participatif, c’est celui la diversité et la représentativité, tant des personnes qui soumettent un projet, que de celles qui votent.
Dans le cadre du Budget Participatif de la Ville de Paris, plusieurs dispositifs ont été mis en place afin de mobiliser et d’outiller un maximum de personnes pour prendre part à ce processus :
- Communiquer par plusieurs canaux : via les arrondissements, les médias numériques et papiers, les associations locales, les campagnes de publicité dans l’espace public et à la radio, les interviews, des plateformes en ligne, etc. ;
- Donner de la visibilité et valoriser ce qui s’est déjà fait ;
Utiliser l’espace public comme lieu de mobilisation et de rencontre (stewards, points info) ; - Avoir des relais : des associations locales qui jouent le rôle relais et explicitent le processus et les démarches administratives ou des citoyens qui ont reçu les informations de la part de ces associations et qui deviennent à leurs tours des relais directs s’ils le souhaitent. Le relais en cascade permet d’avoir des contacts directs de plus en plus ancrés et de mobiliser des personnes qu’on touche parfois moins ;
- Permettre des espaces d’échange via des comités et des assemblées de quartier.
Un élément important, qui nous est apparu, est relatif aux conditions de vote. Dans les publics difficilement mobilisables, parmi les moins atteignables, il y a sans doute les sans-abris et les sans-papiers. Il est pourtant difficilement concevable d’imaginer changer une ville et ses infrastructures sans inclure dans le processus ce public qui sera directement impacté par les changements.
Les votants au Budget Participatif de Paris doivent être sur le territoire de Paris, mais il n’est nullement demandé d’avoir des papiers en règle ni d’avoir un logement fixe. Les stewards de rue et des points infos ont été sensibilisés à l’approche de ce public afin de les inviter à participer au processus. Des associations locales travaillant directement avec ce public ont également joué le rôle de relais. C’est d’ailleurs comme ça qu’est né le projet de Bagagerie dans le 19e arrondissement.