Par Raphaelle Agostini, étudiante à Sciences Po Lille en Master Métiers des Relations Publiques privées. Raphaelle a rédigé cet article ainsi que la collecte de cas en annexe durant son stage (juillet-août 2019) chez un des partenaires de la recherche-action VILCO, Strategic Design Scenarios.
La démocratie est toujours apparue comme un idéal à atteindre. Composée des mots grecs dêmos (le peuple) et kratos (la puissance, le pouvoir) elle est née à Athènes au Vème siècle avant JC. Après des siècles dominés par des régimes autocratiques, elle est réapparue dans les faits à partir de la Révolution Française et s’est affirmée au XXème siècle pour devenir le modèle politique vers lequel les pays doivent tendre. Ainsi, bon nombre de peuples se sont soulevés pour réclamer un régime démocratique. Le dernier en date semble être le Printemps Arabe au début des années 2010 où plusieurs pays du Maghreb et du Moyen Orient se sont soulevés pour destituer leurs dictateurs avec une volonté de mettre en place une démocratie.
Pourtant, la démocratie contemporaine traverse une des crises les plus profondes de son histoire : on voit apparaître une défiance croissante des citoyens à l’égard des gouvernants, une hausse de l’abstention électorale, un affaiblissement des partis politiques traditionnels, ou encore la montée du vote d’extrême droite. En France, lors de la dernière élection présidentielle, près d’1/4 des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes lors du second tour. De nombreux scandales ont aussi ébranlé la démocratie. Ainsi, le scandale de Cambridge Analytica qui renvoie au vol de données de près de 87 millions d’utilisateurs Facebook a ainsi démontré à quel point il était facile d’influencer les intentions de vote.
Se pose alors la question de l’avenir de la démocratie face à la défiance grandissante des citoyens.
C’est dans ce contexte que la démocratie participative apparaît comme une solution prometteuse afin de revitaliser et corriger les défaillances des démocraties contemporaines. Elle se définit comme désignant « l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision. »(1)
La démocratie participative peut prendre de nombreuses formes (budget participatif, votation en ligne, consultation, etc.) dont celle des assemblées citoyennes. Ces dernières sont des instances qui ont pour objectif de permettre aux citoyens d’exprimer et d’exercer directement leur pouvoir politique, elles permettent aux citoyens de dialoguer, débattre, co-décider d’un certain nombre de sujets mis sur la table (choix d’investissement budgétaire, urbanisme, agenda politique, etc.) et formuler des avis ou des décisions. Les assemblées citoyennes de par leur caractère participatif semblent constituer un moyen de redonner le pouvoir aux citoyens. Chaque assemblée citoyenne est différente, il n’y a pas un modèle unique, mais au contraire une multitude de formes d’assemblée citoyenne : elle peut émaner d’une volonté citoyenne ou politique, être provisoire ou permanente, avoir un pouvoir consultatif ou décisionnel ou encore s’appliquer à une échelle locale, régionale ou nationale, etc.
Une volonté citoyenne ou politique
La création d’assemblée citoyenne émane d’une volonté qui peut se traduire aussi bien par une approche top-down qu’une approche bottom-up. Ainsi, le désir citoyen de monter une assemblée citoyenne peut se manifester dans un contexte de défiance, d’opposition du pouvoir en place qui apparaît comme incapable de résoudre les problèmes. Par exemple, les Neighborhood Assemblies de Buenos Aires ont été créées en 2001 suite à des manifestations de grande ampleur qui ont poussé à la démission en une semaine de deux présidents, le radical Fernando de la Rua et le péroniste Adolfo Rodriguez Saa. Elles sont apparues comme un moyen pour les Argentins de résoudre les problèmes auxquels ils devaient faire face.
En Belgique, le G1000 s’est aussi créé en opposition à l’establishment puisqu’il légitime sa création par le fait que « Les défis que la Belgique doit relever pour le moment posent manifestement des problèmes trop grands pour être résolus par la seule politique de partis » .
Inversement, la volonté peut aussi émaner d’une volonté politique notamment grâce à l’initiative de maires. C’est le cas notamment pour les conseils de quartiers de Montevideo qui ont été créés à l’initiative de Tabaré Vazquez à l’époque maire de la ville, ou encore pour la ville de Kingersheim pionnière en matière d’assemblée citoyenne grâce à son maire Jo Spiegel qui depuis 20 ans a mis en place les jalons d’une démocratie participative solide.
En outre, ces assemblées peuvent émaner d’une initiative gouvernementale à l’instar de l’Assemblée citoyenne de Colombie-Britannique mise en place à l’initiative du gouvernement de la province en 2004 qui a confié à 160 personnes choisies aléatoirement la mission de réformer le système électoral de la province. De même, l’assemblée citoyenne irlandaise a été mise en place par le 1er ministre de l’époque Enda Kenney.
Un rôle qui peut aller de la simple consultation à la co-décision
Le rôle des assemblées est assez éclectique. Elles peuvent aussi bien n’avoir qu’un rôle consultatif ou alors avoir un vrai rôle décisionnel. C’est le cas pour les assemblées de Lublin et de Gdansk où la municipalité est tenue d’appliquer les décisions votées par ces assemblées si ces dernières les ont adoptées à plus de 80% des voix.
De même, les décisions des assemblées peuvent être confirmées par des référendums. C’est ainsi qu’en Irlande, le mariage homosexuel et le droit à l’avortement ont été adoptés par référendum suite à un vote en leur faveur de l’assemblée citoyenne. Il en est de même pour l’assemblée de Colombie Britannique où l’adoption d’un nouveau système de réforme électoral devait se solder par un référendum.
À l’inverse il existe des assemblées qui n’ont qu’un rôle consultatif c’est-à-dire qu’elles ne disposent pas vraiment de poids dans la décision. Par exemple, les assemblées citoyennes de la ville d’Orléans représentent des moments, où les habitants peuvent échanger avec les élus locaux (maire, adjoint de quartier, élus thématiques), les services techniques et le ou la responsable de la mairie de proximité, mais ne disposent pas de pouvoir décisionnel.
Une institution ponctuelle ou permanente ?
Se pose aussi la question de la temporalité de ces assemblées. Doivent-elles être activées seulement pour résoudre un problème ou doivent-elles représenter une véritable institution ? La ville de Kingersheim a fait le pari de créer une assemblée citoyenne de manière à ce qu’elle soit perçue comme une institution. Ainsi, la ville s’est dotée d’une Maison de la Citoyenneté où les habitants peuvent délibérer, élaborer et coproduire avec la municipalité.
À l’inverse des assemblées telles que les Neighborhood Assemblies de Buenos Aires ou celle de Colombie Britannique se sont démantelées une fois que leur mission a été remplie. Ainsi, à Buenos Aires elles ont été dissoutes parce que l’on a estimé que les problèmes soulevés lors de ces assemblées ont été considérés comme réglés, tandis qu’en Colombie Britannique l’assemblée n’avait plus lieu d’être une fois la question de la réforme du système électoral réglée.
Une réelle collaboration entre les pouvoirs publics et les citoyens ?
Enfin, l’implication des pouvoirs publics et des citoyens varient d’une assemblée à une autre. Dans la majorité des cas étudiés l’implication des parties se fait à 50-50 c’est à dire qu’il y a une collaboration entre les différentes parties. Par exemple, à Gdansk, l’assemblée s’est créée à l’initiative de la municipalité, les citoyens sont tirés au sort mais ces derniers ont un réel pouvoir au sein de ces assemblées puisqu’ils disposent d’un pouvoir décisionnel important.
Il n’existe évidemment pas d’assemblées où le citoyen n’est absolument pas impliqué. Par contre il existe des assemblées où les pouvoirs publics ne participent pas. C’est généralement le cas pour les assemblées construite en opposition avec l’establishment à l’instar du G1000 ou des neighbordhoods assemblies de Buenos Aires. Toutefois, bien que certaines assemblées semblent avoir une implication des 2 parties il n’empêche qu’elles disposent d’un rôle assez limité notamment lorsqu’elles ne disposent que d’un rôle consultatif comme c’est le cas pour la ville d’Orléans.
Les assemblées citoyennes semblent être une alternative pour restaurer la confiance des citoyens en la démocratie. Pourtant, elles ne sont pas la solution à tous les maux.
En effet, la plupart des assemblées citoyennes traitent de sujets secondaires puisque les autorités publiques hésitent souvent à soumettre à la participation des sujets importants ou clivant. De plus, dans la majorité des cas, les assemblées n’ont pas réellement de pouvoir d’influencer la décision puisqu’elles n’ont souvent qu’un rôle consultatif.
Par ailleurs, il est nécessaire de noter qu’il existe un réel problème de représentativité au sein de ces assemblées. En effet, lorsque la participation se fait sur base du volontariat, il en ressort que les participants sont des personnes disposant d’un capital culturel important, et déjà engagés dans la vie associative ou citoyenne de leur quartier/ municipalité. Il y a donc un risque de renforcer un certain groupe social par rapport à d’autres et de reproduire les inégalités politiques, ce qui fait perdre tout l’intérêt de la démarche.
Enfin, même si l’idée peut sembler séduisante sur le papier, il existe tout de même un problème d’implication citoyenne. Les citoyens en effet, peuvent être enjoués à l’idée d’avoir une assemblée citoyenne mais la difficulté est de pérenniser leur participation là où ils doivent jongler entre vie professionnelle et vie familiale, leur venue peut être compromise.
Ainsi, les assemblées citoyennes peuvent être un bon point de départ pour revitaliser la démocratie et un outil ouvert à amélioration et innovation permanente pour palier, entre autres, aux limites mentionnées précédemment. Mettre sur pied des Assemblées Citoyennes innovantes (et co-créées avec les habitants) c’est d’ailleurs le défi que souhaite relever la Commune d’Etterbeek (membre du projet VILCO) sous l’impulsion de l’Échevin de la Démocratie Participative, Karim Sheikh Hassan.
Toutefois, ces assemblées citoyennes ne peuvent pas être la seule solution pour reconstruire une démocratie saine. Il faut pour sortir de cette crise démocratique réformer le système représentatif, faire évoluer les institutions, transformer les pratiques de gouvernance, qui sont souvent contestées. Comme dirait Alfred Emmanuel Smith, gouverneur de l’Etat de New York dans les années 20 “Tous les méfaits de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie.”
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(1) http://www.toupie.org/Dictionnaire/Democratie_participative.htm
(2) Manifeste du G1000