Par Sandrino Holvoet, de la Fondation pour les Générations Futures
La cinquième et dernière visite croisée du projet VILCO concernait la collaboration administration-citoyens à Uccle, la commune la plus méridionale de la Région de Bruxelles-Capitale. Et de fait, le soleil et les températures estivales qui régnaient cette fin d’après-midi de mai évoquaient bien le Sud, mais un Sud beaucoup plus lointain que le bout de la chaussée d’Alsemberg déjà aux confins de la Région. Malgré la chaleur pesante, point d’envie de sieste ou d’apéro chez les participants à la rencontre, mais un très fort «goût des autres», une curiosité empathique manifeste, une envie de dialogue pressante.
Et pourtant, ils se connaissent, depuis le temps qu’ils se côtoient, collaborent sur le terrain et parfois même, en dernier ressort, rentrent en conflit. Mais se connaît-on jamais assez ?
Qui sont-ils, ces femmes et ces hommes qui ont choisi de se rencontrer ce vendredi fin de journée dans une salle de l’administration communale plutôt que de partir à la pêche ou en tout autre endroit où règne la fraicheur ?
A ma gauche, 2 citoyens membres de l’asbl Oxy 15 active depuis 9 ans dans une zone située entre la chaussée d’Alsemberg, l’avenue Brugmann et le Dieweg. Suite à l’appel à projets «Quartier durable» de la Région, l’asbl a depuis créé une spin off : Le Quartier durable OXYDURABLE.
A ma droite, 3 citoyens actifs dans le Quartier durable Saint-Job. Ils n’ont «que» 7 ans d’existence et se sont eux aussi structurés autour de l’appel à projets «Quartier durable». Comme leur nom l’indique, leur terrain d’action est centré sur la place Saint-Job et les rues et espaces avoisinants.
En face de moi, deux piliers de l’administration uccloise branchés développement durable. L’un est coordinateur de l’Agenda 21, l’autre appartient au Service Vert. (Présentation de la Commune d’Uccle)
A mes côtés, enfin, 3 membres de l’équipe VILCO qui assurent l’animation de la réunion.
Le cadre étant posé, que s’est-il passé lors de cette rencontre et surtout quels premiers enseignements pourrait-on peut-être déjà en tirer ?
Présentation inversée
Tout d’abord, suivant le scénario maintenant bien rôdé des présentations inversées (voir les articles sur les 4 premières visites croisées), chacun a présenté ce qu’il avait compris, perçu de l’autre. Un exercice simple en apparence, mais dont la préparation amène souvent au constat de la méconnaissance de l’autre sur une série de points clés. Un exercice qui nous pousse à débusquer nos manques d’info ou pire nos a priori non fondés sur l’organisation que l’on est amené à présenter.
Que nous a dit la Commune du Quartier Durable Saint-Job ?
Composé d’un noyau dur d’une quinzaine de citoyens aux compétences très variées, le collectif s’est réparti en sous-groupes autour de projets concrets (compost, incroyables comestibles, etc…). Leurs actions ont comme fil rouge de toujours chercher à créer plus de lien social entre habitants. La convivialité s’avère être un outil puissant de mobilisation.
Les contacts avec la Commune se sont eux construits autour de questions très concrètes liées aux projets menés: quel terrain utiliser pour installer le compost collectif ? Comment obtenir les autorisations multiples pour placer les bacs de culture sur la place Saint-Job pour le projet Incroyables Comestibles ? Etc…
Quelle vision de la Commune nous offre le QD Saint-Job ?
En préparant leur présentation, les citoyens ont pris la mesure de leur méconnaissance de la Commune. Mais au fond, quelle est la taille du territoire communal ? Combien d’habitants y vivent ? Quelle est la diversité de sa population ? Sont autant de questions qui n’avaient pas forcément de réponse immédiate au sein du Comité.
La vision de la Commune par QD Saint-Job passe assez logiquement par le prisme «durable». Active au niveau du réseau international des «Ville durables», elle a développé son Agenda 21 local ainsi qu’un Plan nature. Les habitants soulignent aussi que l’administration travaille avec des outils comme des «Plans de gestion de site» ou encore une «Carte des ressources durables». Elle a de plus pris des engagements dans le cadre de certains marchés en faveur de produits issus du commerce équitable.
Le collectif déplore cependant le temps administratif extrêmement long qui a prévalu à leur demande de mise sur l’espace public de leurs bacs de culture pour le projet «Incroyables Comestibles». Un temps nécessaire selon la Commune au vu de la complexité des responsabilités de gestion d’un espace public comme la place Saint-Job.
A propos d’Oxy 15
Dans la foulée de sa présentation de la Commune, le Quartier durable Saint-Job nous présente le collectif Oxy 15. Une vision résolument positive de leur «ainé» : un groupe d’habitants très actifs sur une série de projets concrets : compost de quartier, mallette d’outils pour réaliser des audits énergétiques – qu’il n’hésite pas à prêter à d’autres initiatives citoyennes. Ils sont surtout à la pointe sur les questions de mobilité, en pleine réflexion sur les questions liées à Smart City, etc.
Oxy 15 a donné une série de compléments d’information sur son fonctionnement. Historiquement, l’initiative a eu beaucoup de contacts avec les élus mais paradoxalement assez peu avec l’administration. Par exemple, en 2008, pour ce qui concerne l’aménagement du compost collectif dans le Parc classé de Wolvendael, l’échevin en charge a eu un rôle décisif dans l’avancement du dossier.
Depuis son origine, Oxy 15 est très mobilisé sur les questions de mobilité, point sensible du quartier dont les rues sont envahies par la circulation engendrée par les grands axes qui le délimitent. Par exemple, le collectif a été très actif lors de l’élaboration du Plan communal de mobilité avec comme résultat la mise en Zone 30 de certaines rues. Il est aussi très heureux de sa collaboration avec la Commune dans le cadre de l’enquête sur les déplacements scolaires menée dans les écoles uccloises en 2017.
Le Comité souligne que la Mobilité est une thématique qui touche à beaucoup d’enjeux plus larges et mobilisateurs pour les familles : sécurité des familles, qualité de l’air, bruit, santé et qualité de la vie du quartier en général, … Cependant, celle-ci est selon eux, par nature, beaucoup moins consensuelle que les questions d’environnement plus classiques. La mobilité est clairement une source de conflit où l’arbitrage est toujours difficile à faire. Enfin, le Comité souligne que la convivialité est également une de ses marques de fabrique.
Atelier sur les situations de collaboration
La réunion s’est poursuivie par une discussion autour de l’identification de certains points de la collaboration Commune-citoyens jugés comme exemplaires ou comme «à améliorer». De cette discussion tout en douceur de fin d’après-midi, à titre personnel, j’en ai retenu quelques éléments qu’il me semble utile de creuser pour la suite de notre recherche VILCO.
La bienveillance. Bien sûr, on peut et on doit améliorer les modes structurels de collaboration commune-citoyens, mais il n’empêche que tout cela reste toujours une aventure éminemment humaine, dans laquelle la qualité des interrelations personnelles peut faire réussir ou capoter les projets. Si la bonne information et la confiance sont les deux piliers sur lesquels reposent la qualité de cette relation, elles ne sont rien sans une bonne dose de bienveillance les uns pour les autres.
Gestion du risque, temps administratif et temps citoyen. Par définition l’administration est redevable de ses décisions vis-à-vis de l’ensemble des citoyens qu’elle administre. Face à cette responsabilité, elle cherche à minimiser les risques et a donc tendance à mettre en place des procédures qui assurent la conformité de sa décision avec le droit et les divers règlements en place. Une sorte de «Principe de précaution» en terme de responsabilité. Cela aboutit à des procédures qui peuvent être extrêmement longues au regard du temps de vie quotidien «normal» des citoyens qui tentent de concrétiser un projet. Une simplification des procédures serait-elle envisageable dans certains cas. Serait-ce gérable par l’administration ? Est-ce acceptable pour les citoyens eux-mêmes qui verraient une part d’incertitude s’immiscer dans des décisions administratives prises plus rapidement ?
Perspective historique. Le cas des deux collectifs d’habitants participants au Living Lab VILCO d’Uccle est emblématique et rappelle une évidence à laquelle nous devons rester attentifs dans notre travail de recherche de solutions transférables au plus grand nombre. Le mode de relation entre pouvoirs publics locaux et initiatives citoyennes fluctue en fonction du temps et du contexte historique. Des projets citoyens d’un même type peuvent être considérés comme innovants* dans une commune donnée ou simplement de routine pour d’autres. De même, un jeune groupe de citoyens inexpérimenté, aura une autre attitude dans sa relation à l’administration qu’un collectif porté par des «anciens» qui ont déjà un long historique de relation avec l’autorité locale.
* innovant : qui nécessite de tracer de nouvelles voies avec des incertitudes importantes de résultats .